Cressent le premier ébéniste du XVIIIème siècle
Bronzier et ciseleur autant qu'ébéniste, Charles Cressent fut un novateur dont le génie plaça l'art du mobilier français du XVIIIème siècle.
En 1715, à la mort du roi, on passe du style Louis XIV au style Régence. Trois maîtres vont incarner ce style nouveau, l'architecte Robert de Cotte, le décorateur Pineau et l'ébéniste Charles Cressent. Le style Régence ne dure que huit ans de 1715 à 1723, date de la mort de Philippe d'Orléans.
Cette commode dite "aux amours balançant un singe", est l'oeuvre la plus célèbre de Cressent à qui elle appartenait en prope. Sa très riche ornement de bronzes dorés, traitée "en relief" et non plus en incrustation comme le faisaient ses prdécesseurs, témoignant admirablement du style de ce maître-ébéniste (musée du Louvre. photo Giraudon).
En 1715, Robert de Cotte a 59 ans et encore une vingtaine d'année à vivre. Il profite depuis un quart de siècle de sa fonction d'architecte officiel. Pineau a la trentaine, après neuf ans en Russie il va intégrer l'académie de Saint-Luc.
Cressent a trente ans et cet Amiénois né le 16 décembre 1685, ne semble pas promis à devenir ébéniste. Mais il connaît le bois, petit-fils d'un menuisier, fils de sculpteur et sculpteur lui même. Il s'est installé à Paris, où ses talents de ciseleur sont reconnus, car il est surtout bronzier. Des sculpteurs réputés (Girardon et Le Lorrain) l'emploient et l'accueilleront à l'académie de Saint-Luc le 14 août 1714. De grands amateurs louent sa manière, sa technique et apprécient sa connaissance des arts « majeurs ». Maintenant il commence à s'intéresser aux meubles. Il vient d'épouser Claudine Chevanne, veuve de Joseph Poitou « meublier » des Orléans. Elle lui apporte un atelier mais aussi des dettes, plusieurs envers Cressent lui-même. Il reprend l'atelier de Poitou, se fait la main sur quatre maisons de la rue Notre-Dame des Victoires, puis hérite du titre et des fonctions de fournisseur du Duc d'Orléans. Le Duc, grand et savant amateur d'art, à grand frais confie à Cressent la réfection du Palais Royal.
On donne le nom d'"espagnolettes" à ces type de personnages féminins qui ornent les coins de ce bureau plat. C'est sur ce bureau de Cressent que fut signé le traité de Versailles. (photo giraudon)
D'abord imitateur de Boulle, il gagne de la personnalité et de la technique dans les années 1730. Elles mettent en valeur le talent radicalement singulier de l'ébéniste, fait de voluptueuse élégance, d'amplitude et d'un naturel raffiné. La légèreté du décor, cerné par un discret placage permet à leur fin réseau de moulures étrangement illustrées, d'intégrer des ornements classiques comme des coquilles ou d'autres figures plus inattendues, des amours symbolisant les arts disposés autour de consoles enguirlandées.
Sa collection « Wallace », mise en lumière aux amateurs grâce à l'exposition universelle de 1900, avec des armoires et des commodes, montre le prodigieux sens artistique de Cressent. Les historiens retiennent au premier chef la découpe du « tablier », soit la partie inférieure de la façade qu'ils nomment « profil en arbalète ». Ce profilé sinueux sera adopté par tous les confrères, mais s'arrêtera lors du retour du goût à l'antique avec des lignes rectilignes.
Le style de ces armoires-bibliothèques (à droite Musée des Arts Décoratifs, à gauche collection Samy Chalom) marque, non pas comme on l'a souvent dit une transition entre le style Louis XIV et le style Louis XV, mais au contraire annonce et prépare le "retour à l'antique", les lignes droites de la décoration sont plus dépouillé du style Louis XVI. Elle fait partie de deux paires de bibliothèques décrites dans l'acte de vente des collection de Cressent le 15 janvier 17499 : "Bibliothèque en bois satiné à deux parties pleines centrées par la corniche, enrichie d'ornement de bronze en couleur d'or du meilleur goût".e
L'ébéniste Cressent vient du bronze, et il va toujours faire en sorte que le bronze prenne le rôle essentiel. A cette époque chaque métier est important, l'ébéniste ancien bronzier va connaître quelques problèmes, car il continue à travailler le bronze, et c'est interdit à l'époque. En conséquence il sera jugé pour cumul des professions avec une première sentence le 5 novembre 1723 puis en 1743 par les doreurs au tribunal du Chatelet.
Notre ébéniste, bronzier et ciseleur a conjugué bien des ouvrages : pendules, candélabres, médaillons etc … La chambre des Requêtes de la cours de Cassation est ornée d'un cartel « l'Amour, vainqueur du Temps » un autre est au musée des arts décoratifs. Il y a aussi le buste modelé « grandeur nature » du fils du Régent, le pieux et érudit duc Louis d'Orléans. Dans les grands ouvrages on trouve aussi une armoire du numismate au goût résolument Louis XV commandée par la famille d'Orléans.
Cette commode dont le décor de bronze est à la limite du baroquisme est assurément de Cressent. Elle a été décrite dans la vente de Mme Julliot en 1771. Elle apparttint ensuite au baron Ferdinand de Rothschild qui la paya une somme cinsidérable à la fin du XIXème siècle.
La réputation va dépasser nos frontières. Pourtant si l'ébéniste travaille pour de nombreux souverains d'Europe (Jean V de Portugal, Charles Albert de Bavière, … ) il n'aura jamais le titre d'ébéniste du roi. Parmi les clients de Cressent on a les prestigieux Crozat et Julienne (grand amateur) le duc de Richelieu, le comte de Saint Maure et le marquis de Marigny ou encore Selle (trésorier général de la Marine). Ce dernier a deux armoires, la commode à « profil d'arbalètes, des pendules à cartel, un bureau pourvu d'un serre-papier, d'un cabinet … ce dernier étant inspiré par la victoire du Bien-Aimé et de son fils à Fontenoy peu après 1745.
Quelques années plus tard, dans le style rocaille venu de l'entourage de la Pompadour, style auquel Cressent ne sacrifia jamais totalement, on citera un socle avec figuré des guerriers romains conduisant un éléphant chargé de trophées, un cabinet orné d'effigies du roi, du dauphin et sur des volets des médaillons des douze Cesar.
Visible au cabinet des monnaies et médailles à la bibliothèque nationale, ce médailler est surmonté du buste, modelé par Cressent, du duc Louis d'Orléans, fils du Régent.
En 1746 Cressent est veuf, il a fait de son habitation située au-dessus de son atelier un environnement somptueux avec des tissus précieux, une collection de peintures riche de 150 toiles, des meubles … Si on connaît l'inventaire, c'est qu'une vente aux enchères a du être organisée. Mais à malheur, bonheur est bon, car cela permit de se faire connaître, les commandes affluent, le déroulement des enchères s'arrête et il a pu garder ses meubles et autres chefs d'oeuvre. Cressent reste de moins en moins fortuné. Il limite l'ornement coûteux et donne plus de place aux marqueteries avec des motifs floraux .
Avec l'âge, notre ébéniste à la vue qui baisse, il va devoir quitter son atelier et vendre sa collection, pas tout car puisque sa demeure était pleine de tableaux. Il est mort le dimanche 10 janvier 1768 de froid selon certains.
Cressent laisse sur le plan technique la création du profil arbalète, et son souci de dissimuler la structure mais aussi les plans et l'articulation de la commode dite « à la Harant » dont les flancs à vantaux ouvrants protègent des petits corps d'armoires. On lui attribue aussi le mérite d'avoir imaginé « le chantournement » en élévation que ses contemporains appelaient en tombeau »
Loin d'être l'un des investigateurs du style Régence, Cressent fut presque dans l'époque la mémoire publique du style Louis XV.
Artiste inventif et technique, rigoureux, cet Amiénois de génie résume l'art de son siècle, siècle que précisément, les uns vouent tout entier aux Grâces et les autres à la Raison.
Information prise dans un magasine de 1969